Le projet s'intéresse aux « dramaturgies de la crise » et se décline en deux grands axes

Le projet interdisciplinaire porte sur les théâtres en Europe aux XXe et XXIe siècles en temps de crise. Nous explorerons dans ce sens les crises concomitantes du théâtre et des sociétés européennes.

De manière plus reserrée, l’objectif est d’examiner les arts scéniques des deux dernières décennies en France, en Espagne, en Italie et dans les pays de langue allemande, de déterminer s’il est possible de parler de l’émergence concomitante d’ « une ou de dramaturgie(s) de la crise », et d’en décrire, dans une perspective contrastive, les spécificités, la manière dont elle(s) repose(nt) les questions de la mimesis et du réel, les modalités de la possible ( ?) représentation de la crise. La recherche sur les formes induira également une interrogation sur la fonction sociale et politique du théâtre dans des périodes dites « de crise », ainsi que sur sa fonction d’alternative aux discours des médias de masse.

  • Axe 1. Fonction sociale du théâtre en temps de crise

Par-delà les différences d’un espace culturel à l’autre, d’une époque à l’autre, le théâtre est le lieu dans lequel le collectif s’interroge sur son propre devenir. Il s’agira d’aborder les modalités contemporaines de cette fonction.
On s’attachera à dégager les éventuelles convergences entre les pays quant à la façon dont artistes et institutions pensent leur propre rôle dans le contexte de la crise économique, sociale et écologique contemporaine qui elle-même touche tous les pays. L’enquête auprès des professionnels pourra ici compléter, voire amender le regard des scientifiques. Dans la mesure où une des caractéristiques de la crise économique contemporaine réside dans son incommensurabilité et dans le sentiment d’une impuissance politique à en endiguer les effets, la question se pose de l’éventuelle marginalisation du théâtre par rapport à d’autres enjeux sociaux d’une part, et d’autre part par rapport à d’autres espaces artistiques susceptibles d’être plus pertinents pour une réflexion à travers la création. Dans une perspective diachronique, on tentera de recontextualiser ces stratégies, afin de les comparer à celles qui ont pu être développées d’un point de vue théorique face à d’autres événements apportant des bouleversements majeurs : conflits mondiaux, révolutions nationales etc.

  • Axe 2. Représentations de la crise et crise des formes théâtrales

Nous nous interrogerons, à partir de l’analyse de spectacles et d’un corpus de textes théâtraux les plus actuels, sur le rapport entre la représentation d’un objet événementiel par les arts de la scène et l’évolution de leurs formes.
La crise économique qui traverse les sociétés occidentales industrialisées se caractérisant par la difficulté que nous avons de la comprendre, c’est-à-dire d’en isoler et cerner les causes, la question se pose nécessairement des modalités de sa (possible ?) représentation. Le théâtre, lorsqu’il se soucie d’analyser les processus politiques, économiques et sociaux à l’oeuvre dans la société, voit évoluer ses formes du fait même de l’objet qu’il se donne. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment le théâtre réagit-il d’un point de vue esthétique aux sursauts du réel qui lui sont immédiatement contemporains ? De ce point de vue, la thèse de Jacques Rancière selon laquelle l’art connaîtrait, par delà le « régime esthétique » (Malaise dans l’esthétique (2004), Partage du sensible (2000)), un tournant éthique, sera par exemple à éprouver dans le cas des arts du spectacle aujourd’hui.
Par ailleurs, la question de la réception occupe naturellement une place centrale dans une réflexion sur l’articulation entre l’objet particulier que constituent les phénomènes subsumés sous le terme de « crise » et les modalités de leur représentation. Si l’avènement de la société des médias et l’explosion technologique des modes de production et de diffusion de l’information modèlent notre perception du monde, de quelle manière les arts de la scène peuvent-ils prendre en compte cet état de fait ? Pour Hans-Thies Lehmann, qui évoque un «théâtre de la perception» (Postdramatisches Theater, 1998), le théâtre ne conserve une pertinence politique que s’il laisse derrière lui les catégories de la représentation et de la dramaticité (Hans-Thies Lehmann, Le théâtre postdramatique). Pourtant, le retour en grâce du texte et d’une forme de confiance dans la forme dramatique constitue depuis la fin des années quatre-vingt-dix un constat indéniable. Cette coexistence de stratégies dramatiques et scéniques diverses et parfois opposées sera, dans le cadre de cet axe, explorée de manière contrastive d’un espace culturel à un autre.