Colloque Pier Paolo Pasolini - Mémoire(s) et résonances

21 22 mars 2023
MISHA - salle des conférences et en distanciel

Io sono una forza del Passato.
Solo nella tradizione è il mio amore.
Vengo dai ruderi, dalle chiese,
dalle pale d’altare, dai borghi
abbandonati sugli Appennini o le Prealpi,
dove sono vissuti i fratelli.

Pier Paolo PASOLINI, Poesia in forma di rosa, 1964.

 

Le 5 mars 2022, Pasolini aurait eu cent ans. Dans la Péninsule comme dans l’Hexagone, hommages, sorties en salles de films restaurés ou autres ouvrages mettent à l’honneur celui que la société italienne tenta pourtant de mettre à l’index, à l’image de la censure à laquelle il fut en proie et de ses incessants contacts avec l’autorité judiciaire. Modélisée par la trace qui s’inscrit dans le temps et s’archive, la mémoire de l’œuvre de Pasolini semble aujourd’hui entretenue, organisée, suscitée. En est-elle pour autant restituée ? Si les rétrospectives fleurissent, la parole de Pasolini paraît, elle, discrètement mise au ban : les volumes italiens reprenant les écrits de Pasolini sur la politique, la société, l’art et la littérature[1] sont quasi introuvables et, étonnamment, n’ont fait l’objet d’aucune réédition en prévision de la date anniversaire pourtant si célébrée. Certaines facettes de Pasolini tendraient donc à être oubliées, voire enterrées, questionnant ainsi la notion éthique de choix, qu’il s’agisse de l’actualisation de l’archive, ou du sens de la restauration de la trace. Peut-on voir dans cette mémoire choisie et tronquée le signe d’une volonté idéologique ou politique ? D’après Luca Ronconi : « Pier Paolo Pasolini a eu un regard d’anticipation, prémonitoire sur plusieurs événements de la société italienne. Tant que ce regard pasolinien recouvre des manières d’être, qu’il correspond à des évolutions, il est fort probable que l’œuvre de Pasolini demeure actuelle[2] ». Cette vision prophétique n’est par ailleurs pas propre à l’Italie : en interrogeant le passé, et avec lui, la tradition, Pasolini n’a cessé de confronter les sociétés occidentales à la Modernité. Dans cette perspective, comment analyser aujourd’hui la façon dont est réceptionné ce « regard d’anticipation », paradoxalement tourné vers le passé ?

Constitutive de l’œuvre polymorphe de Pasolini, la tradition n’a en effet cessé d’être questionnée par le poète à travers un élément corrélatif de la mémoire, la source, déclinée tantôt autour de l’écriture romanesque, de la poésie, de la peinture, du théâtre et du cinéma. Qu’il s’agisse de les articuler autour du mythe, reflet chez Pasolini de la sacralité d’un monde anhistorique dont la réalité est en soi hiérophanique, ou autour des écritures saintes, miroir d’une Église encore archaïque et par le fait non dénaturée, ces mémoires ont en commun de s’inscrire à rebours d’une modernité en perte d’identité et de spiritualité.

Cette opposition à la rationalisation du monde apparaît dans les influences qui ont nourri Pasolini, à l’instar de la pensée russe ou de Giovanni Pascoli, à qui Pasolini a consacré « une sorte d’anthologie commentée » dans le cadre de son diplôme universitaire[3]. L’auteur de L’Èra Nuova y dénonçait en effet les limites d’une réalité ramenée à une simple classification scientifique, un demi-siècle avant que Pasolini ne déplore une bourgeoisie ayant perdu le sens du sacré.  Cette même bourgeoisie que Nicolas Berdiaeff définissait non pas sous l’angle d’une vision paradigmatique de classe par opposition au prolétariat comme c’est le cas chez Marx, mais à l’aune précisément de son rapport quasi inexistant à la spiritualité et de son ancrage dans la matérialité.

C’est en revanche en dialogue avec Gramsci que se reflétera, dans une perspective politique, le rapport de Pasolini à la mémoire, ici collective. Indispensable à organiser la tradition, à restituer l’histoire du peuple, à en affirmer l’identité, et à lutter contre l’uniformisation de la culture par le pouvoir et l’idéologie dominants, sa réactivation apparaît comme un rempart à l’hégémonie.

En célébrant la mémoire telle que Pasolini l’a articulée, mais aussi celle dont il fait l’objet, tout l’enjeu de ce colloque sera en définitive de faire résonner la parole de l’intellectuel italien dans notre siècle, et au-delà, d’interroger notre capacité à percevoir encore ses échos : écouter, regarder, comprendre celui qui aimait parler en paraboles.

 

PROGRAMME DETAILLE DU COLLOQUE

Le colloque sera diffusé en ligne et en direct sur la plateforme BBB : bbb.unistra.fr/b/fra-1nx-9pz-s2m

 

[1] Pier Paolo Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, Milano, Mondatori,I Meridiani, 2004 ; Saggi sulla politica e sulla società, Milano, Mondatori, VII edizione I Meridiani, 2016.

[2] Luca Ronconi in Stefano Casi, I teatri di Pasolini, Bologne, Cue press, 2019, p.13.

[3] Marco Antonio Bazzocchi et Roberto Chiesi, Pier Paolo Pasolini. Folgorazioni figurative, Edizioni Cineteca di Bologna, 2022, p. 5.