Resp. sc. > Carole Egger, Cristina Oñoro et Sakae Giroux
En collaboration avec les études japonaises et l'équipe du G.E.O.
S’interroger à nouveau sur le concept de « théâtralité » implique, à l’heure où la contemporanéité théâtrale a modifié les spécificités du théâtre au point de les rendre méconnaissables, de se poser la question de la nature même de ce que l’on entend par « théâtre ». Ce n’est peut-être pas un hasard si récemment la question « Qu’est-ce que le théâtre ?» a fait l’objet d’un ouvrage de plus de 1000 pages (C. Biet, C. Triau). Parallèlement au développement des recherches dans le domaine de la littérature et des arts du spectacle, l’emploi du terme « théâtralité » s’est généralisé au point d’envahir tous les champs de la connaissance et en particulier, celui des arts visuels (danse, cinéma, photographie, peinture). Cet usage inflationniste n’impose-t-il pas, afin de lui rendre son caractère opératoire, d’examiner à nouveau ce concept en revenant aux fondamentaux ?
Peut-on encore parler, d’une « essence du théâtre » (H. Gouhier), qui renseignerait des formes dramaturgiques aussi éloignées que l’esperpento de Valle-Inclán, le théâtre brechtien, les dramaturgies de l’absurde, le théâtre de masques ou de marionnettes ou encore, le nô japonais ? Au-delà même du théâtre, la théâtralité conserve-t-elle une dimension anthropologique apte à informer le mode de fonctionnement des communautés humaines (Evreinov) ou encore le mode opératoire de la pensée (Derrick de Kerckhove) ? Quelles conclusions en tirer quant aux caractéristiques de « ce serpent de mer » (A. Rykner), un peu monstrueux, un peu mythique, fuyant et difficilement appréhendable qu’est la théâtralité ?
Doit-on chercher à la débusquer à partir de la sphère de production d’un texte ou d’un spectacle ? Fait-elle forcément l’objet d’un procès intentionnel de la part du/ des créateurs ?
Faut-il plutôt en relever la trace dans cet espace intermédiaire entre scène et salle, à partir du mode de fonctionnement du théâtral (parole en mouvement mise en scène par le corps d’un acteur (Michel Bernard), mise en scène, improvisation, « écriture de plateau », performance, représentation vs présentation, etc.)
Toutes les poétiques théâtrales qui se sont succédé au cours de l’Histoire ayant eu pour objectif ultime de favoriser la relation scène/salle –même si la nature de cette relation diffère souvent–, l’espace privilégié pour l’appréhender ne se situe-t-il pas dans la sphère de la réception, du côté du spectateur censé l’apprécier au premier chef ? Josette Féral, qui interroge également le concept du point de vue de ses rapports avec la performativité, en fait le résultat « non seulement d’un "acte de reconnaissance" mais aussi de "création" de la part du spectateur ». Mais, quelle est ici la part du subjectif, de l’insaisissable ?
Depuis le début du XXème siècle, les théoriciens ont fait valoir que le texte n’est premier –par rapport à la scène– que dans la tradition occidentale et encore, uniquement si on limite celle-ci aux dramaturgies aristotéliciennes au sens large, c’est-à-dire, comme dirait Florence Dupont, aux dramaturgies qui, depuis la Renaissance, sont dominées par le logos. Qu’induit la nature du spectacle quant à la théâtralité, selon que celui-ci invite à la participation et à la communion –comme dans le théâtre des fêtes du moyen âge, de la farce ou des traditions orientales– ou bien au contraire qu’il incite à la réflexion et à la distance critique ? La fonction sociale du théâtre –endoctrinement (théâtre religieux ou politique), divertissement ou évasion, critique sociale ou politique- infléchit-elle la théâtralité dans un sens ou un autre ?
De quel poids pèse en outre ce contexte géographique, sociopolitique, culturel et temporel non seulement sur la détermination de la dramaturgie mais également sur la place accordée par celle-ci à la question du sens, à la dimension idéologique et/ou esthétique, aux idées ou aux affects ? La théâtralité peut-elle s’affranchir de la communication ? Est-elle forcément liée aux structures symboliques de la signification (Erika Fischer-Lichte) ?
Existe-t-il, de fait, autant de théâtralités qu’il existe de formes dramaturgiques (moyenâgeuse, baroque, romantique ; dramaturgie réaliste, symboliste, poétique ; dramaturgie de l’absurde, postmoderne, post-dramatique) ? Y a-t-il une théâtralité propre aux formes orientales : Nô, Bunraku, Kabuki, etc. Quels sont, s’ils existent, les points de convergence entre les deux traditions ? Michel Corvin dit que :
Si l’on parvenait à cerner les conditions minimales, à la fois nécessaires et suffisantes, du fonctionnement théâtral, on saurait ce qu’est la théâtralité, étant entendu que cette notion, toute abstraite qu’elle est, est évolutive et inscrite dans l’histoire ; étant prévisible aussi, a contrario, qu’il n’y a peut-être qu’une différence de degré, non de nature, entre les manifestations divergentes de la théâtralité.
Il s’agira dans ce colloque de tenter une approche de ce que sont ces « conditions minimales, à la fois nécessaires et suffisantes » à l’émergence de la théâtralité. Peut-on déterminer un plus petit dénominateur commun, à travers le temps, l’espace, voire les genres, dans ce concept particulièrement mouvant qu’est la théâtralité d’une forme à l’autre ? La confrontation entre Orient et Occident devrait permettre, sinon d’infirmer ou de confirmer, du moins de questionner l’affirmation selon laquelle la différence est bien de degré, et non de nature, entre les manifestations divergentes de la théâtralité.
Ce colloque est le deuxième volet d’un programme qui a commencé au Japon, à l’Université Waseda de Tokyo en novembre 2012. Il est réalisé dans le cadre du projet IDEX PLaTEaU-OO/XXIe siècle (Plateforme pour les Langues et les Théâtres Étrangers à l'Université de Strasbourg, Orient-Occident, XXIe siècle ). Il est le fruit de la collaboration entre deux équipes de recherches : le GEO (Groupe d’études orientales, slaves et néo-helléniques) et le CHER (Culture et Histoire dans l’Espace Roman).
Programme
Spectacle de clôture du colloque : conférence dansée d'Emmanuel Sandorfi
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